Social
Licenciement économique
Licenciement économique : une dégradation persistante du chiffre d'affaires peut caractériser des difficultés économiques
Dans une décision inédite du 17 septembre 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que lorsque l'employeur qui a prononcé un licenciement économique n'est pas en mesure de justifier d'une « baisse significative » des commandes ou du chiffre d'affaires au sens du code du travail, le juge peut prendre en considération tout autre élément de nature à justifier de difficultés économiques. Une dégradation persistante du chiffre d'affaires peut ainsi caractériser des difficultés économiques au jour du licenciement.
Modalités d’appréciation des difficultés économiques
Indicateurs économiques ou tout autre élément justificatif. - L’employeur qui licencie un salarié en raison de difficultés économiques doit justifier (c. trav. art. L. 1233-3) :
-d’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires ;
-de pertes d'exploitation ;
-d’une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation ;
-ou, plus généralement, de tout autre élément de nature à justifier de difficultés économiques.
À noter : hors difficultés économiques, le licenciement pour motif économique peut aussi être justifié par des mutations technologiques, une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité ou la cessation d'activité de l'entreprise (c. trav. art. L. 1233-3).
Évolution significative. - Quel que soit l’indicateur de difficultés économiques invoqué pour justifier le licenciement, celui-ci doit avoir connu une « évolution significative » ce que le juge au cas par cas.
Il peut s’agir, par exemple, de pertes financières résultant d’un investissement destiné à lutter contre la concurrence (cass. soc. 22 octobre 1996, n° 93-43491 D) ou de la dégradation de l'excédent brut d'exploitation sur plusieurs années (cass. soc. 1er février 2023, n° 20-19661 FSB).
Concernant la baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, le code du travail donne des critères objectifs pour guider l’analyse du juge. En effet, il précise que la baisse est « significative » dès lors que sa durée est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :
-1 trimestre pour une entreprise de moins de 11 salariés ;
-2 trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 11 salariés et de moins de 50 salariés ;
-3 trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins 50 salariés et de moins de 300 salariés ;
-4 trimestres consécutifs pour une entreprise de 300 salariés et plus.
Analyse « globale » du juge. - Même si le code du travail ne donne pas de définition objective de « l’évolution significative » des autres indicateurs (ex. : pertes d’exploitation, dégradation de la trésorerie ; voir ci-avant), il ne s'agit pas pour autant d'indicateurs secondaires ou annexes.
Par conséquent, si la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n'est pas établie, le juge doit rechercher si, au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier, les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'au moins un des autres indicateurs économiques, tel que des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés (cass. soc. 21 septembre 2022, n° 20-18511 FSB).
Un licenciement économique validé alors que la baisse du chiffre d'affaires n’était pas établie
Dans cette affaire, une salariée dont le contrat de travail avait été rompu en janvier 2021, après avoir adhéré à un contrat de sécurisation professionnelle, avait saisi la justice, notamment, pour contester le motif économique de cette rupture.
Après avoir eu gain de cause auprès du conseil des prud’hommes, elle avait été déboutée en appel, car (CA Bourges 22 décembre 2023, n° RG 23/00038) :
-certes, les éléments comptables (semestriels et non trimestriels) produits par l’employeur n’établissait pas la réalité de l'indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes au cours de l’année précédant le licenciement ;
-mais, depuis un an, le chiffre d'affaires avait régressé de 10 % et le résultat d'exploitation de près de 30 %, et ce, malgré une diminution de la masse salariale et une exemption de loyers pendant 6 mois.
Les juges d’appel avaient alors estimé que cette « persistance de la dégradation du chiffre d'affaires » justifiait l’existence de difficultés économiques et donc que le licenciement était fondé.
La salariée s’était pourvue en cassation. Elle faisait valoir que le juge, après avoir estimé que la réalité de la baisse du chiffre d'affaires n’était pas établie, ne pouvait pas se fonder sur une baisse dudit chiffre d'affaires pour confirmer l'existence de difficultés économiques.
Néanmoins, la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel.
Si la baisse du chiffre d'affaires n’est pas établie, le juge doit rechercher l'évolution significative d'au moins un autre indicateur économique
La Cour de cassation souligne tout d’abord, que contrairement à ce que soutenait la salariée dans son pourvoi, la cour d’appel a bien admis que l’indicateur économique relatif à la baisse du chiffre n’était pas établi, au sens du code du travail. En effet, l’employeur ayant présenté l’évolution du CA sur des périodes semestrielles, il n’était pas possible de vérifier si ce CA était bien en baisse par rapport aux mêmes trimestres de l’année précédente, selon la méthode d’analyse prévue par le code du travail (voir ci-avant).
La cour d’appel a donc apprécié la réalité des difficultés économiques antérieures au licenciement en recherchant, au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier, si les difficultés économiques étaient caractérisées par l'évolution significative d'un autre indicateur économique ou de tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Et c’est ainsi que la question du chiffre d’affaires a ressurgi. Car, même à défaut de chiffres trimestriels, il était clairement établi que le CA avait sérieusement reculé, avec une baisse de plus de 10 % entre le second semestre 2019 et le second semestre 2020. Et peu importe que l’entreprise ait moins souffert de la crise sanitaire au cours du second semestre 2020 que du premier semestre 2020, cela ne remettait pas en cause la baisse observée entre 2019 et 2020.
La cour d’appel a par ailleurs fait appel à un autre indicateur : le résultat d’exploitation, en baisse de 30 % entre 2019 et 2020, malgré une réduction de l’effectif (et donc de la masse salariale) et le geste des bailleurs, qui avaient renoncé au loyer du deuxième semestre 2020.
Cette analyse « globale » était conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation (voir ci-avant)
La cour d’appel ayant ainsi constaté une « persistance de la dégradation du chiffre d'affaires » de l’entreprise depuis un an a pu en déduire que l'employeur justifiait donc de la réalité du motif économique invoqué.
Le pourvoi est donc rejeté.
Cass. soc. 17 septembre 2025, n° 24-12213 D