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Harcèlement

Le harcèlement moral peut résulter d'un ensemble d'éléments isolés, dans un contexte particulier

Un fait isolé ne suffit pas à établir qu'un salarié est victime de harcèlement moral. Pour autant, en cas de contentieux, les juges doivent appréhendent les différents faits établis en ce sens par le salarié dans leur ensemble et rechercher s'ils permettent de présumer l'existence du harcèlement moral allégué.

Harcèlement moral – les principes

Définition. - On parle de harcèlement moral en présence d’agissements qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail d’un salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel sont interdits (c. trav. art. L. 1152-1).

Le harcèlement moral doit résulter d’agissements répétés. Il ne peut pas s’agir d’un acte isolé, même si celui-ci grave (cass. soc. 9 décembre 2009, n° 07-45521, BC V n° 280).

Système de preuve. – En cas de contentieux, lorsque le salarié présente des éléments de fait qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral, l’employeur doit prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.

Puis les juges forment leur conviction après avoir ordonné, si cela est nécessaire, des mesures d'instruction (c. trav. art. L. 1154-1 ; cass. soc. 15 février 2023, n° 21-20572 FB). Pour cela, il leur faut examiner l’ensemble des éléments présentés par le salarié puis les apprécier globalement (cass. soc. 2 mai 2024, n° 22-18450 FB), ce qui va être l’une des clés de l’affaire jugée en l’espèce.

Contestation d’un licenciement sur la base d’un harcèlement moral

Un salarié de directeur de magasin (grande distribution – embauche en 1993) est licencié pour faute le 17 décembre 2019, l’employeur lui reprochant le dénigrement de son entreprise, un « dysfonctionnement managérial grave » (ton inapproprié, techniques de déstabilisation psychologique, dénigrement des collaborateurs auprès de leurs subordonnés, etc.) et un manque de neutralité lors de l’organisation des élections professionnelles.

Le salarié saisit la juridiction prud'homale et contre-attaque en se plaçant sur le terrain du harcèlement moral : il invoque la nullité de son licenciement et demande des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre des faits de harcèlement moral dont il a été victime.

Il met notamment en avant :

-qu’il a été victime d’agissements de 7 des 9 membres du Codir (comité de direction) ;

-les alertes dont l'employeur a été destinataire ;

-la tentative de le muter sur le site d’une autre localité et son licenciement comme mesure de rétorsion.

Une affaire qui retourne devant une cour d’appel

La qualification des faits par la cour d’appel. - Pour écarter la demande du salarié, la cour d’appel avait apprécié les différents faits que le salarié lui avait exposés, de la façon suivante.

1. Concernant les agissements de certains membres du comité de direction, si les témoignages des salariés faisaient état des difficultés rencontrées par le salarié avec le comité, pour autant ils ne décrivaient aucun fait ni agissement précis laissant supposer l'existence d'un harcèlement à l'encontre de ce dernier.

2. Le salarié n'alléguait aucun fait précis de harcèlement qu'il aurait subi.

3. Le seul agissement précis était la tentative de « M. [U] » (l’arrêt ne précise pas s’il s’agit d’un « simple » salarié ou d’un membre du comité de direction) de réorganiser dans le courant de l'été 2019 l'étage administratif afin d'y placer sa compagne, cette tentative n’ayant pas été suivie d'effet car le salarié s'y était opposé à son retour de congé. Cela ne pouvait pas constituer un acte de harcèlement.

4. Les alertes formulées par le salarié, la psychologue, le coach, le médecin du travail et l'inspection du travail confirmaient les dissensions gangrenant l'encadrement du magasin de deux localités ainsi que les risques psychosociaux se manifestant par la souffrance morale de 8 salariés, dont le salarié licencié. Pour autant, ces alertes ne faisaient état d'aucun fait précis de harcèlement moral à l'encontre du salarié, ce dernier ne présentant sur ce point aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, même si confronté à une situation managériale difficile, un anxiolytique lui avait été prescrit à compter du 11 septembre 2019.

5. Compte tenu de la carrière du salarié à l’international dans l’entreprise, la mutation envisagée pour lui aurait entraîné pour lui une forte perte de responsabilité et il l’avait légitimement vécue comme une humiliation. Cela avait entraîné des répercussions sur son état de santé et il avait été immédiatement placé en arrêt de travail.

Sur ce dernier, point, la cour d’appel concède que cette tentative de mutation s'analysait comme un agissement constitutif de harcèlement moral, même sans intention de nuire. Cet agissement était de plus inutile puisque l'employeur avait renoncé à la mutation envisagée, compte tenu des faits qu’il reprochait et qui avaient finalement conduit à son licenciement.

Néanmoins, la cour d’appel estime qu’il s’agissait d'un fait isolé et en conclut qu’il ne pouvait pas caractériser à lui seul un harcèlement moral, cette notion supposant des agissements répétés.

L’analyse de la Cour de cassation. - La Cour de cassation rappelle que, pour se prononcer sur l'existence d'un harcèlement moral, le juge doit :

-examiner l'ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux produits ;

-apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'un harcèlement moral (c. trav. art. L. 1152-1) ;

-si tel est le cas, apprécier si l'employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que les décisions qu’il a prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

C’est sous ces conditions seulement, que le juge peut apprécier souverainement l’existence de harcèlement moral.

La Cour de cassation reproche ici à la cour d’appel d’avoir procédé à une appréciation séparée des éléments examinés, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les faits matériellement établis – compte tenu des éléments médicaux produits par le salarié et des alertes faisant état de la souffrance au travail de salariés, dont le salarié licencié – laissaient supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Elle s’appuie sur la méthodologie en trois étapes posée depuis longtemps par la jurisprudence (cass. soc. 24 septembre 2008, n° 06-43504, BC V n° 175 ; cass. soc. 8 juin 2016, n° 14-13418, BC V n° 128).

Elle renvoie donc l’affaire devant une autre cour d’appel.

Cass. soc. 5 novembre 2025, n° 24-17072 FD