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Horaires de travail

Décompte de la durée de travail : à quelles conditions un logiciel avec un horaire théorique prérenseigné peut-il être utilisé ?

Le décompte des heures de travail effectuées par chaque salarié peut être réalisé par un système d'enregistrement automatique, à condition qu'il soit objectif, fiable et infalsifiable. Dans une décision du 17 avril 2025, le Conseil d’État estime qu'il peut s'agir d’un logiciel paramétré avec une déclaration anticipée des heures travaillées, s'il garantit bien que toute discordance avec l'horaire réel du salarié sera corrigée, pour chaque jour et semaine de travail. La brièveté du délai dans lequel ces corrections sont effectuées participe de la conformité du système.

Rappels des modalités de décompte la durée du travail de chaque salarié

De manière générale, l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur lui impose de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de contrôler la durée du travail des salariés (voir encadré en fin d’article).

Lorsque, comme dans l’affaire ici commentée, tous les salariés d’un service, d’un atelier ou d’une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif (ex. : travail par relais, par roulement ou par équipes successives, travail à temps partiel), l’employeur doit décompter la durée du travail de chaque salarié (c. trav. art. L. 3171-2 et D. 3171-8) :

-quotidiennement, par enregistrement selon « tous moyens » des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d’heures de travail effectuées ;

-et chaque semaine, par récapitulation selon tous moyens du nombre d’heures de travail effectuées par chaque salarié.

À noter : ces règles ne visent pas les salariés concernés par des conventions de forfait en heures lorsque les conventions ou accords collectifs fixent les modalités de contrôle de la durée du travail (c. trav. art. D. 3171-9).

Par ailleurs, de manière générale, le code du travail prévoit que si le décompte des heures de travail accomplies est réalisé par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être objectif, fiable et infalsifiable (c. trav. art. L. 3171-4).

Si l’employeur ne respecte pas ses obligations, il encourt des sanctions pénales (c. trav. art. R. 3173-1 à R. 3171-3). Et en l’absence de poursuites pénales, il encourt un avertissement ou une amende administrative d’un montant maximal de 4 000 € par salarié concerné (c. trav. art. L. 8115-1 et L. 8115-3).

Litige relatif à une amende administrative infligée à un employeur, pour manquement à son obligation de décompter la durée du travail de chaque salarié

Dans cette affaire, à la suite d’un contrôle de l'inspection du travail, la DREETS avait infligé à l’employeur (EDF) une amende administrative de 18 390 €, au titre d'un manquement à ses obligations de décompte du temps de travail, plus précisément quant aux modalités de fonctionnement de son logiciel de décompte du temps de travail des salariés ne travaillant pas selon un horaire collectif.

En l’occurrence, ce logiciel avait été paramétré pour indiquer les horaires de travail applicables à chaque salarié conformément à l'accord collectif en vigueur. Lorsque les horaires effectifs ne correspondaient pas aux horaires prérenseignés, le salarié les modifiait en fin de semaine en procédant à une saisie manuelle dans l'outil informatique, saisie que son responsable hiérarchique devait ensuite valider (CAA Nantes 9 janvier 2024, n° 23NT01460).

L’entreprise avait saisi le juge administratif, notamment, pour demander l’annulation de la sanction. Elle estimait que le logiciel de décompte qu'elle avait mis en place était valable, puisque le code du travail dispose que l'enregistrement de la durée de travail peut être réalisé « selon tous moyens » (c. trav. art. D. 3171-8 ; voir plus haut).

La cour administrative d'appel avait toutefois rejeté la demande de l’employeur. Selon la cour, un système d'enregistrement du temps de travail comportant une déclaration par anticipation des heures travaillées, puis une rectification hebdomadaire, pour prendre en compte les heures effectivement accomplies, ne satisfaisait pas aux modalités de décompte du temps de travail prévues par les articles L. 3171-2 et D. 3172-8 pour deux raisons :

-d’une part, il ne permet pas un décompte quotidien des heures accomplies effectivement ;

-d’autre part, le nombre des heures effectuées chaque jour peut ne pas correspondre au nombre d'heures effectivement accompli, jusqu'à leur éventuelle rectification.

Le Conseil d’État a censuré ce raisonnement.

Le décompte de la durée de travail peut se faire via un logiciel paramétré avec un horaire théorique si les différences avec l’horaire réel sont corrigées dans un bref délai

Le Conseil d’État est reparti des dispositions du code du travail relatives aux modalités de décompte du temps de travail des salariés ne travaillant pas selon un horaire collectif (c. trav. art. L. 3171-2 et D. 3171-8 ; voir ci-avant).

Il a ensuite rappelé qu'il en résulte que lorsque les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe ne travaillent pas selon le même horaire collectif de travail affiché, il incombe à l'employeur de prévoir les modalités par lesquelles un décompte des heures accomplies par chaque salarié est établi pour chaque jour et pour chaque semaine de travail, selon un système qui doit être objectif, fiable et accessible (CE 6 octobre 2023, nos 465781, 466291, 467551 et 467554 ; CE 30 juin 2023, n°466290 et 467553).

À ce titre, le Conseil d’État estime que si l’employeur choisit d’opérer ce décompte via un outil informatique comportant les heures de travail anticipées de chaque salarié, il doit garantir que les discordances avec le nombre d'heures réellement accomplies soient corrigées pour chaque jour et chaque semaine de travail.

Néanmoins, le juge admet qu'il puisse y avoir un délai, bref, avant la correction des discordances.

Le Conseil d’État ajoute en effet, que si la brièveté du délai selon lequel la correction d’horaires est effectuée participe du caractère objectif, fiable et accessible du système mis en œuvre, la seule circonstance, inhérente à un tel système, que dans l'intervalle précédant la rectification, le nombre d'heures mentionné, qui ne figure qu'à titre provisoire dans l'outil informatique, peut différer du nombre d'heures accomplies ne peut pas, en soi, permettre de considérer que le système ne présente pas les garanties d'objectivité, de fiabilité et d'accessibilité requises.

Dans ce contexte, la DREETS ne pouvait pas infliger à la société l'amende encourue en cas de manquement à l'obligation de tenir des décomptes individuels de la durée du travail des salariés ne travaillant pas selon le même horaire collectif de travail.

Le contrôle de la durée du travail, une composante de l’obligation de sécurité
Au regard de l’obligation légale de sécurité pesant sur l'employeur (c. trav. art. L. 4121-1) et de la jurisprudence européenne (CJUE 14 mai 2019, aff. C-55/18), la Cour de cassation considère que l’employeur doit mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de contrôler la durée du travail des salariés (cass. soc. 5 juillet 2023, n° 21-24122 FSB). Par cette décision du 5 juillet 2023, la Cour de cassation avait pour la première fois affirmé que la mise en place d’un système fiable de contrôle de la durée du travail est une composante de l’obligation de sécurité de l’employeur (lettre ch. soc. n° 20 mai/juillet 2023).
Cela étant, la Cour ne dicte pas aux employeurs la façon de procéder, laquelle relève de son pouvoir de direction ou de la négociation collective.

CE 17 avril 2025, n° 492418 (mentionné aux tables)