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Président/Premier ministre : qui décide de quoi ? 1° Le président de la République peut-il nommer le Premier ministre de son choix ?Héritier de la fonction de président du conseil des ministres dévolue à tous les chefs de gouvernement exerçant sous les troisième et quatrième Républiques, le Premier ministre de la Cinquième République n’a pas de titre constitutionnel qui lui est consacré. Il est mentionné dans le titre II traitant du président de la République et dans le titre III consacré au gouvernement. Il est nommé par le président de la République en application de l’article 8 premier alinéa de la Constitution. Son choix est discrétionnaire et son décret de nomination ne peut être contesté devant le Conseil d’État car cette décision entre dans la catégorie des actes dits « de gouvernement » qui, en droit administratif, sont des actes qui échappent à tout recours contentieux en annulation ou en indemnisation, dans la mesure où de tels actes touchent aux rapports entre pouvoirs constitutionnels. Il en est de même avec la nomination des ministres. Cependant, la réalité est que le Premier ministre nommé doit avoir une certaine proximité avec le groupe majoritaire ou pour le moins une coalition majoritaire existant au sein de l’Assemblée nationale afin de faire passer les projets portés, l’objectif étant d’éviter tout risque de renversement par une grande majorité de députés à un moment donné du gouvernement ainsi constitué. Donc la composition politique de l’Assemblée nationale actuelle, éclatée en 11 groupes politiques, va influer nécessairement sur le choix du Premier ministre. D’ailleurs, l’exemple de la nomination comme chef du gouvernement de Jacques Chirac de 1986-1988 par le président François Mitterrand et de Lionel Jospin de 1997 à 2002 par le président Jacques Chirac pendant les périodes de cohabitation démontrent le principe du fait majoritaire, principe de réalité se substituant au principe de choix personnel. Indépendamment des périodes de cohabitation, certaines divergences ont pu voir le jour entre le locataire de l’Élysée et celui de Matignon, nonobstant le fait de partager une vision politique commune. Pour résumer, le président de la République est juridiquement libre de choisir mais est tenu politiquement de choisir un Premier ministre qui sera accepté par une majorité de députés le cas échéant coalisés sur des projets partagés. Deux précisions sont à apporter à cette nomination attendue. La première est que la Constitution ne fixe aucun délai au président de la République pour nommer un nouveau Premier ministre : cette période suivant la démission d’un gouvernement devrait être la plus courte possible dans la mesure où la gestion des affaires courantes ne permet de prendre des décisions décisives pour la gestion du pays (Voir notre article Législatives : de quelle marge de manœuvre dispose un gouvernement démissionnaire ?). La deuxième est que qu’un changement de Premier ministre ne peut se faire que sur la démission de ce dernier, entraînant par voie de conséquence la chute du gouvernement qu’il dirige. En clair, s’il revient au président de la République de nommer son Premier ministre, il ne peut juridiquement le démettre des ses fonctions sans l’accord de ce dernier.
2° Quelles fonctions sont confiées au Premier ministre ?La fonction de Premier ministre n’est pas à négliger sur le plan juridique. Nous citerons pour l’essentiel une compétence générale et cinq énoncées par la Constitution énoncées par l’article 21 de la Constitution (il y en a d’autres également). La compétence générale est celle de la direction du gouvernement et résulte des termes de l’article 21 de la Constitution qui dispose dans la première phrase de son premier aliéna « Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement ». Cependant, le fait qu’il dirige l’action gouvernementale ne fait pas pour autant du Premier ministre le supérieur hiérarchique des ministres qui compose le gouvernement. Au niveau des compétences particulières, en premier lieu, il est responsable de la Défense nationale. En réalité, il faut entendre sous cet énoncé que cette responsabilité concerne plus précisément l’organisation de la défense nationale, la direction opérationnelle relevant davantage du seul chef de l’État, chef des armées. Afin de mettre fin à cette ambiguïté textuelle, il avait été suggéré de modifier cet article et de préciser que le rôle du chef du gouvernement se limitait à la responsabilité de l’organisation de la défense nationale. Ces projets de réforme rédactionnelle sont restés sans suite. En deuxième lieu, il est chargé d’assurer l’exécution des lois. Il doit veiller à cet effet à prendre les mesures indispensables à rendre applicables les lois votées par le Parlement. C’est une obligation d’exécution et tout manquement à celle-ci est de nature à engager la responsabilité de l’État comme l’a jugé le Juge du Palais-Royal dans un arrêt d’assemblée rendu le 27 novembre 1964, Ministre des Finances et des Affaires économiques, n° 59068 : « Considérant qu’en prévoyant qu’un second décret devait déterminer les modalités de coordination entre le régime qu’il instituait et ceux visés en son article 2, le décret du 12 décembre 1951 a conféré aux intéressés qui avaient accompli des services relevant de régimes de retraites différents, le droit de voir leur situation au regard de ces divers régimes de retraites fixée de façon précise par un texte réglementaire ; que si le gouvernement conservait la faculté d’abroger, s’il le jugeait opportun, l’article 13 précité du décret du 12 décembre 1951, il avait par contre, en l’absence d’une telle mesure d’abrogation, l’obligation d’assurer la pleine application de ce décret en prenant dans un délai raisonnable, qui est en l’espèce largement dépassé, le texte complémentaire qui y était expressément prévu ; qu’une abstention aussi prolongée équivaut de la part du gouvernement à un refus de satisfaire à l’obligation qui lui incombait ; qu’elle est dans ces conditions constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État ; qu’il suit de là que le ministre des Finances et des affaires économiques n’est pas fondé à demander, par le moyen qu’il invoque, l’annulation du jugement attaqué ; ». En troisième lieu, il dispose du pouvoir réglementaire général en dehors de toute habilitation législative. Il convient de préciser sur ce point que les ministres ne disposent pas de pouvoir, sauf habilitation législative ou du Premier ministre. En effet, c’est le chef du gouvernement qui détient le pouvoir réglementaire en application de l’article 21, premier alinéa, de la Constitution et c’est encore lui qui détermine, par décret de délégation, les attributions de chaque ministre de son gouvernement sur le fondement du deuxième alinéa de ce même article. En quatrième lieu, sous réserves des pouvoirs du président de la République, il est énoncé que le chef du gouvernement nomme aux emplois civils et militaires. Cependant, cette disposition constitutionnelle renvoie pour être efficiente aux dispositions d’application d’une loi organique. En effet, l’article 3 de l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État dispose « L’exercice du pouvoir de nomination aux emplois civils et militaires de l’État autres que ceux prévus à l’article 13 (par. 3) de la Constitution et aux articles 1er et 2 ci-dessus peut être délégué au Premier ministre par décret du président de la République en vertu des articles 13 (par. 4) et 21 (par. 1er) de la Constitution. ». En conséquence, faute de délégation expresse de la part du chef de l’État, le Premier ministre ne peut procéder aux nominations prévues à ce niveau. En cinquième lieu, il peut suppléer, le cas échéant, le président de la République dans la présidence des conseils et comités supérieurs de la Défense nationale. En sixième lieu, il peut, à titre exceptionnel, suppléer le président de la République pour la présidence d’un conseil des ministres en vertu d’une délégation expresse et pour un ordre du jour déterminé. Il a par ailleurs d’autres prérogatives notamment dans le cadre de la procédure parlementaire qui seront exposées de manière synthétique plus loin. En réalité, les prérogatives attachées à la fonction de Premier ministre font en général émerger de facto une personnalité propre de celle ou de celui qui l’exerce qui ne peut être considéré comme un simple supplétif auquel le président de la République pourrait décider et imposer ses choix. Si le fait majoritaire rend dociles au président de la République par essence le Premier ministre et la majorité existant à l’Assemblée nationale, la cohabitation forcée amène un retour à la lecture stricte des textes. Or, il ressort de leur lecture qu’à part certains pouvoirs propres et limités du président de la République, ce dernier a besoin juridiquement du contreseing du Premier ministre et des ministres compétents dans la plupart des décisions prises. De plus, l’organisation, l’ossature ainsi que les compétences du Secrétariat Général du gouvernement font en réalité de Matignon la véritable tour de contrôle des affaires nationales de l’État. Nous présentons ci-dessous un tableau récapitulatif complet des compétences attribuées au Premier ministre.
3° Quels sont les pouvoirs du président de la République ?La Constitution de la Vème République relève du régime parlementaire avec une prépondérance du président de la République qui ressort de la rédaction du texte constitutionnel. En effet, le titre II de la Constitution intitulé Le Président de la République est composé de 15 articles qui lui sont consacrés (articles 5 à 19). Le président de la République est par ailleurs mentionné à 32 reprises dans le texte constitutionnel alors que le Premier ministre n’y est cité que 22 fois. Il convient de préciser qu’à part certains actes, la Constitution ne prévoit aucun domaine réservé expressément au chef de l’Etat, tels ceux relevant de la défense nationale et des affaires étrangères. Cela relève plus d’une pratique héritée de l’ère gaullienne qui ne repose sur aucun texte. La réalité est qu’en pratique lors de la constitution d’un Gouvernement le président de la République peut opérer des choix de ministres qui seront directement en relation avec lui sur des domaines qu’il entend suivre particulièrement, notamment traditionnellement ceux qui peuvent toucher à l’international (affaires étrangères et défense nationale par la présence militaire française projetée sur différentes régions du monde). Nous présentons ci-dessous deux tableaux récapitulant de manière complète les compétences exercées par le président de la République en distinguant en rouge les actes qui n’exigent pas le contreseing du Premier ministre en application de l’article 19 de la Constitution.
Il ressort en conclusion que le président de la République et le Premier ministre sont condamnés à s’entendre dans la mesure où il faut leur accord à tous deux pour signer la quasi-totalité des actes qui doivent être pris pour faire fonctionner l’Etat et gérer les intérêts de la France.
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Date: 02/05/2025 |